Boris Picano-Nacci, le trader de la Caisse d'Epargne de 33 ans (son profil Viadeo annonce toujours Trading Compte Propre, Caisse Nationale des Caisses d'Epargnes) à qui il est reproché d'avoir pris des positions spéculatives non autorisées qui ont abouti à une perte de 700 millions d'euro, a été mis en examen par la juge Xavière Siméoni le 30 octobre pour « abus de confiance » et placé sous contrôle judiciaire, après avoir été entendu près de 40 heures par la Brigade Financière.
L'affaire ressemble en de nombreux points à celle de la Société Générale mais le traitement accordé à Boris Picano-Nacci n'a rien à voir avec celui auquel a eu droit Jérôme Kerviel : pas de lynchage médiatique en règle, pas d'affichage de sa photo à la Une de tous les journaux, pas de traitement de tous les noms d'oiseaux (terroriste, formidable manipulateur, etc...). Même le nom de l'infortuné trader a mis du temps à être divulgué, alors que seule l'initiale de son nom était mentionnée au départ : il semble que les dirigeants de la Caisse d'Epargne aient tenu compte de l'expérience malheureuse de la SocGen, et de sa désastreuse campagne de communication lors de la révélation de l’affaire. D’ailleurs, la banque prévient : « Nous n’avons pas l’intention de jouer le jeu de la victimisation avec le trader, ni de le déstabiliser ». Et vlan dans les gencives Daniel Bouton ! Et pan dans le ventre de la Générale !
Similarité des événements, et ébahissement des « gens d’en bas » qui découvrent médusés que le monde de la banque ne se limite pas au compte courant, au Livret A et au placement de père de famille. Dans un marché boursier devenu fou, secoué par une volatilité historique et hystérique, alors que les banques étaient à cours de liquidités et obligées, o sacrilège capitalistique, d’accepter la manne céleste d’états providence déjà largement endettés, ils se sont donc trouvés quelques traders aventureux qui ont continué à « jouer » des sommes folles avec un argent qui ne leur appartenait pas.
Mais pour un Boris Picano-Nacci qui se fait prendre, combien passent au travers des gouttes ?
La nature a horreur du vide et les média ont horreur de l’absence d’informations croustillantes. Ainsi le pedigree de ce jeune loup de la finance, passé en quelques jours de l’énigmatique Boris P. à l’exotique Boris Picano-Nacci, n’a pas tardé à être dévoilé. Ce qui n’a pas manqué d’établir certains parallèles avec Jérôme Kerviel, entre points de convergence et différences.
Le nom tout d’abord : alors que Jérôme Kerviel nous avait transporté en pays bigouden avec un nom fleurant bon la crêpe au salidou et la bolée d’Armorique, Boris Picano-Nacci n’est pas sans évoquer un régionalisme maquisard aux lointains parfums slaves, même si la famille du trader est rhodanienne. Et on peut se demander si on verra se manifester chez nos amis de l’île de Beauté un esprit de corps aussi fort et solidaire que chez nos maîtres de galettes au sarrasin.
L’âge ensuite : 31 ans, 33 ans… et cette question lancinante : omment, malgré l’affaire de la SocGen, malgré le désastre des Subprimes, malgré le précipice devant lequel elles se trouvent, les banques continuent-elles à faire manipuler des sommes folles par des gamins, et mettre le système financier déjà exsangue, à genoux, dans une situation de péril encore plus grand ? Le plan Paulson, et les autres plans de sauvetages, s’ils ont permis d’éviter une catastrophe planétaire, n’ont visiblement pas servi de leçon à un monde capitaliste décidément devenu fou.
Le parcours professionnel aussi : si Jérôme avec son diplôme de l’Université de Nantes nourrissait un certain complexe d’infériorité et un désir de revanche face à ses collègues issus des Grandes Ecoles de France, Boris, lui aussi universitaire, a suivi un parcours plus « classique » et météorique dans le monde des salles de marchés : en 2001, diplôme de l’Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne et un mémoire consacré au « Processus de Lévy et modélisation financière ». Dans la classe de Patrice Poncet, professeur à l’Essec et consultant à la Socgen, il apprend notamment à démêler des algorithmes de programmation ; puis embauche la même année par la Caisse d’Epargne comme assistant trader qui débouche rapidement sur un poste de trader. Parallèlement, Boris s’inscrit en thèse sur les « mathématiques appliquées à la valorisation des produits dérivés » à l’école doctorale de décision informatique-mathématique-organisation de Paris Dauphine. Parcours sans faute donc d’un trader qui n’avait rien à prouver, donnait des cours en licence à Dauphine dans la filière informatique et mathématiques, et animait un TD d’introduction à la finance.
La personne enfin : Jérôme, avec ses airs éloignés de Tom Cruise, était décrit par son entourage comme un jeune homme gentil et réservé, vivant à Neuily. Boris serait plutôt du style « sympa » avec des airs de Monsieur tout le monde et logeant dans le Val-d’Oise.
Voilà voilà... Reste que ledit Boris n’a pas repensé à l’affaire de la SocGen lorsqu’il a pris ses positions spéculatives, dans un contexte de folie boursière exceptionnel. A partir du 15 septembre, Boris Picano-Nacci parie sur un renversement à la hausse des marchés alors que les marchés ont dévissé de 7% la semaine précédente. On le sait, les marchés se sont affolés et ont plongé dans des proportions jamais vues depuis près de vingt ans. Boris Picano-Nacci a ensuite tenté de dissimuler ses pertes abyssales par des déclarations rassurantes et mensongères. Sa hiérarchie a également « couvert » ses pertes jusqu’à ce que cela devienne intenable.
Bon et bien, moi, c’est là que je m’insurge !! Quelle stupidité ! Quel manque de lucidité, de bon sens !! Avec les subprimes, la faillite de Lehman et le cataclysme financier qui éclatait en plein jour, la défiance des banques entre-elles agitant le spectre d’une crise de liquidités, la récession économique qui montrait des signes de plus en plus tangibles de son installation, comment pouvait-on imaginer que la bourse se contenterait d’une baisse de 7% ? A quoi cela sert de faire de belles études et des thèses dont nous ne comprenons même pas le titre, de toucher des sommes immenses en bonus de fin d’année, s’il s’agit ensuite de faire preuve d’une telle bêtise, d’une telle incompréhension des mécanismes économiques et financiers les plus élémentaires ?
Monsieur Boris Picano-Nacci, si vous étiez sorti de votre bulle douillette de salle de marchés, vous vous seriez peut-être rendu compte du désastre économique que connait le monde aujourd’hui. Vous auriez « joué » une poursuite de la baisse des marchés, auriez engrangé de substantielles plus-values et fait la joie de votre hiérarchie et de votre compte en banque alors que des millions de foyers américains ont perdu leur logement. Mais hélas, tout ne fonctionne pas parfois comme on le souhaite : vous apprendrez peut-être ainsi ce qu’est une crise ?